Avez vous déjà lu la fable du garçon qui criait « 5 % de chance de loup ! » ?

Avant 2020, très peu d'entre nous s'inquiétaient des pandémies. Aujourd'hui, nous avons fait l'expérience du Covid. En 2023, on estime que le Covid-19 a tué plus de 20 millions de personnes. Les gouvernements ont été relativement prompts à prendre des mesures, mais ils n’étaient clairement pas du tout assez préparés. Pourtant, cela fait longtemps que des experts essaient de médiatiser les risques de pandémies. Comment a-t-on pu fermer les yeux si longtemps sur un problème si visible ?

Le Covid-19 a été terrible pour la santé humaine et l'économie mondiale. Mais rien n'empêche qu’une future pandémie soit encore plus dévastatrice. Il existe cependant des manières d’agir. Nous pensons que la préparation aux pandémies est l'un des meilleurs moyens d'empêcher de graves pertes humaines, ainsi que des dommages sociétaux et économiques. Et cela peut se faire par le financement d'organisations qui travaillent sur le sujet, ou par votre contribution directe à ce domaine.

Qu'est-ce qu'on risque ?

La biosécurité, au sens large, est un ensemble de méthodes destinées à protéger les populations contre les substances biologiques ou biochimiques nocives. Il y a un large éventail de risques biologiques, ou biorisques, mais cette page est spécifiquement axée sur la réduction des risques biologiques catastrophiques à l'échelle mondiale, en anglais Global Catastrophic Biological Risks, ou GCBR. Un GCBR est un événement biologique d'une ampleur qui menace la survie ou la prospérité de l'humanité.

On distingue quatre types de risques biologiques catastrophiques à l’échelle mondiale :

Les agents pathogènes naturels

Au XIVème siècle, la peste bubonique, une pathologie naturelle, a ravagé l'Europe et une partie de l'Asie et de l'Afrique, en tuant presque une personne sur 10 dans le monde.

Aujourd’hui, la grande densité de population et les interconnexions au niveau mondial augmentent encore le risque. De plus en plus d’agents pathogènes pour les humains apparaissent à cause des conditions d’élevage que nous imposons aux animaux.

Lors d'une enquête informelle menée auprès de participant·es à une conférence sur les risques catastrophiques mondiaux en 2008, l’estimation médiane était que d'ici 2100, il y avait plus d’une chance sur deux qu’un million de personnes meurent d’une pandémie naturelle, et 5% de chances que ce chiffre atteigne 1 milliard.

Cependant, d’autres éléments nous protègent : meilleure hygiène et assainissement, médecine fournissant des traitements et vaccins efficaces, meilleure compréhension des mécanismes de développement et de transmission des maladies… Il y a beaucoup de solutions à trouver et à implémenter pour faire redescendre ce risque.

Les agents pathogènes artificiels

Les agents pathogènes artificiels représentent peut-être un risque encore plus grave. N’importe quelle entité suffisamment compétente pourrait modifier les capacités d’un pathogène (transmissibilité, létalité, durée d'incubation) afin d'accroître ses dommages potentiels.
Les tendances actuelles suggèrent que, d’ici une décennie, accéder aux informations nécessaires pour créer de nouvelles pandémies sera vraiment simple.

Photo de Belova

Des tendances récentes exacerbent ces inquiétudes :

  • Les séquences génétiques d'organismes dangereux, sont de plus en plus accessibles, y compris les souches virales responsables des pandémies passées.
  • Les technologie de modification des génomes est en constant progrès
  • Les coûts de fabrication de séquence génétiques de synthèse ne font que diminuer.

En particulier, les progrès de l’IA rendent la création de ces armes biologiques de plus en plus facile. En 2021, deux chercheurs ont modélisé plus de 40 000 toxines en quelques heures, sur un ordinateur. Certaines correspondaient à des molécules connues, dont une seule goutte sur la peau peut tuer quelqu’un en 20 minutes. Ces résultats ont simplement été obtenus en inversant la consigne donnée à un générateur de molécules thérapeutiques. Les données étaient presque entièrement en libre accès. Rien n'empèche qui que ce soit de reproduire l’expérience.

Les fuites de laboratoire

Le virus H5N1, responsable de la grippe aviaire, est extrêmement mortel mais ne se transmet pas entre humains. Pourtant, en 2011, des chercheurs ont créé une souche capable de se propager entre furets, des animaux souvent utilisés comme modèles pour l'homme. Bien que cette expérience n'ait pas été menée sur des humains, il est possible qu'une souche hautement létale et contagieuse pour l'homme existe désormais en laboratoire.

Image de Aviavlad

Ces expérimentations sont profondément préoccupantes en raison des risques de fuite. L'expérience sur les souches de H5N1 a eu lieu dans un laboratoire de biosécurité de niveau 3 (BSL-3), niveau requis pour les pathogènes provoquant des maladies graves par simple inhalation. Ces laboratoires sont très sécurisés, mais aussi très nombreux. Les enjeux sont donc énormes.

Les agents pathogènes dangereux sont également étudiés à des fins militaires. Le programme Biopreparat de l'Union soviétique, le plus grand programme de guerre biologique offensive de l'histoire, employait des milliers de scientifiques dans des installations secrètes, stockant des agents comme la variole et la peste. Ce programme a connu plusieurs fuites accidentelles, dont une propagation d'anthrax qui a tué plus de 60 personnes.

Si un programme similaire existait aujourd'hui, les estimations suggèrent qu'une fuite accidentelle d’agents pathogènes militarisés pourrait survenir en quelques décennies. Les fuites passées n'ont pas provoqué de pandémies mondiales parce que les programmes se concentraient sur des agents non pandémiques, limitation due à la technologie de l'époque. Avec les avancées biotechnologiques actuelles, la recherche d'armes biologiques par des États représente l'une des menaces les plus sérieuses pour la santé mondiale.

L'utilisation intentionnelle

Divers groupes radicalisés et organisations terroristes ont déjà exprimé leur intention d'utiliser des armes biologiques ou des agents pathogènes dangereux à des fins destructrices. Certains sont même passés à l'acte, comme la secte apocalyptique Aum Shinrikyo, qui a tué 13 personnes et en a blessé des milliers d'autres en 1995 en organisant un attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo.

L’estimation des probabilités d’une utilisation intentionnelle de pathogènes est très spéculative, mais d’après une enquête de 2008, plus de la moitié des expert·es interrogé·es ont estimé à environ chance sur trois la probabilité qu’une pandémie intentionnellement déclenchée tue 1 million de personnes, voir plus, d’ici 2100.

Qu'est-ce qu'on peut y faire ?

Faire avancer le domaine

Il existe plusieurs interventions prometteuses pour réduire les risques liés aux armes biologiques. Open Philanthropy a rédigé un rapport complet sur les GCBR, qui se concentre principalement sur les agents pathogènes viraux (ce ne sont pas les seuls organismes concernés, mais ils sont très transmissibles et virulents, et nous disposons de traitements limités).

Le rapport présente plusieurs objectifs prometteurs qui, s'ils sont atteints, diminueraient le risque.

  • Assurer une plus grande disponibilité de composés antiviraux.
  • Réduire à moins de 100 jours le temps qui s'écoule entre la découverte d'un nouvel agent pathogène et le développement de méthodes thérapeutiques contre lui.
  • Améliorer notre capacité à contenir de manière fiable les agents pathogènes dangereux.
  • Permettre un séquençage métagénomique à grande échelle qui nous permette de détecter de manière fiable les épidémies.

Cette dernière option peut être particulièrement prometteuse. Nous vous conseillons cet article de Carl Schuman (en anglais), qui décrit quelques options et évalue leur plausibilité.

Faire évoluer la société

D'autres interventions plus larges ont été proposées pour réduire les risques de maladies infectieuses graves.

  • Améliorer la planification des scénarios de GCBR.
  • Favoriser la prise de conscience et une culture de la sécurité parmi les chercheurs en biotechnologie.
  • Améliorer les méthodes d'évaluation des risques et exiger que les recherches potentiellement dangereuses fassent l'objet d'une évaluation avant d'être approuvées.
  • Développer et renforcer les normes internationales en matière de biosécurité.

Faut-il prioriser cette cause ?

L’altruisme efficace préconise des principes et des méthodes, pas des conclusions. Nous présentons ces causes prioritaires selon la communauté, mais nous vous encourageons à réfléchir vous-même pour déterminer quelles causes sont les plus urgentes, en fonction de vos connaissances et vos valeurs. Voici quelques raisons éventuelles de ne pas prioriser cette cause, que nous ne voulions pas passer sous silence.

Certaines personnes ont des doutes quand à la priorité de ce domaine d'action pour plusieurs raisons.

Les progrès dans ce domaine sont compliqués

Les progrès en biosécurité rencontrent deux obstacles majeurs.

  • Le double usage (dual use) : les progrès scientifiques en biosécurité peuvent souvent être utilisés pour faire le bien comme pour faire le mal. Par exemple, un travail de recherche contre les pandémies naturelles implique de comprendre comment elles se propagent, mais cette information peut aider quelqu’un souhaitant faire une pandémie artificielle.
  • Les risques d’information (information hazard) : Comme le développement dans ce domaine ne nécessite pas d'équipements complexes et coûteux, il suffirait à un acteur malveillant d'apprendre le potentiel destructeur d'une technologie pour augmenter considérablement le risque. Par exemple, Al-Qaïda a décidé de lancer un programme de bioterrorisme uniquement parce que, comme le raconte Ayman al-Zawahiri, "l'ennemi a attiré notre attention sur [les armes biologiques] en exprimant à plusieurs reprises son inquiétude quant au fait qu'elles peuvent être produites simplement".

Les financements ne sont peut-être pas dirigés de façon optimale

À première vue, la biosécurité, telle qu'elle est généralement définie, ne semble pas être un domaine particulièrement négligé. Même avant la pandémie de COVID-19, le gouvernement fédéral des États-Unis y consacrait environ 3 milliards de dollars par an. (ref)

Toutefois, cette image est à nuancer, car certains sous-domaines sont très négligés. Par exemple, la Convention sur les armes biologiques (BWC) de 1972, qui est le principal traité de désarmement de ce type, est gérée depuis 2006 par une unité qui dispose d'un budget inférieur à celui d'un McDonald's moyen (notamment en raison de défis géopolitiques majeurs). De plus, jusqu’à récemment, les discussions sur les biorisques entraînant des millions de morts étaient taboues. En conséquence, l’essentiel des efforts dans le domaine de la biosécurité ne sont pas axés sur les GCBR.

Vous estimez qu'il existe des risques encore plus graves ou vous avez des incertitudes

Certaines personnes considèrent que d’autres risques présentent un risque plus élevé de catastrophe existentielle (par exemple ceux liés à l'intelligence artificielle). Si vous préférez soutenir un domaine ayant moins d’incertitudes, vous pouvez également soutenir d'autres causes qui offrent des solutions mieux comprises.

Les arguments en faveur de la biosécurité reposent en grande partie sur des spéculations et des jugements subjectifs concernant un certain nombre de questions clés. Par exemple, quelle est la probabilité qu'un groupe, ou un État, décide d'utiliser des armes biologiques ? Quel est l'impact des travaux menés dans le domaine de la biosécurité traditionnelle par rapport aux travaux axés spécifiquement sur les GCBRs ? Quelle doit être la gravité d'un événement biologique pour qu'il menace de provoquer une catastrophe mondiale ?

Nous pensons qu'il s'agit là de considérations importantes, qui dépendent de votre vision du monde.

Je veux aider !

Si l'importance de ces enjeux vous a convaincu, et que souhaitez contribuer activement, plusieurs options s'offrent à vous.

De nombreuses opportunités de carrières existent dans ce domaine. La biosécurité et la préparation aux pandémies sont multidisciplinaires. Nous vous conseillons de lire notre traduction du guide carrière de 80,000 Hours

Une autre manière d’avoir un impact immédiat passe par le don : le manque de financement est une entrave majeure à la recherche.

Travailler dans ce domaine

De nombreuses opportunités de carrières existent dans ce domaine. La biosécurité et la préparation aux pandémies sont multidisciplinaires, et pour faire face à ces menaces de manière efficace, il y a besoin a minima :

  • Des chercheurs pour étudier et développer des outils de contrôle des épidémies, tels que des tests et des antiviraux, à la fois sur les aspects techniques et biologiques
  • Des chercheurs en stratégie et des prévisionnistes pour élaborer des plans, par exemple sur la manière de mettre au point ou d'augmenter rapidement la production de vaccins
  • Des personnes au sein des gouvernements pour adopter et mettre en œuvre des politiques visant à réduire les menaces biologiques. L‘angle de la sociologie et de la politique manquent actuellement, et il faut des personnes mettant l’accès sur la prévention des pandémies, pas juste leur gestion.

Globalement, nous vous recommandons de consulter la page de 80,000 Hours qui offre des conseils de carrière, y compris sur la lutte contre les pandémies, pour voir si vous pouvez contribuer à ce domaine, ou si vous pouvez acquérir les compétences nécessaires.

Ils répertorient également des offres d'emploi sur cette page.

En France, il y a un bon lien entre le côté institutionnel (ex. Santé publique France - qui maintient un système de surveillance épidémiologique) et la recherche (ex. Institut Pasteur - à la pointe de la lutte contre les maladies infectieuses). De plus, de nombreux organismes institutionnels français s’intéressent aux questions de biosécurité (la DGA, SGDSN, DGRIS, ANSES…). Travailler en laboratoire (pour se former ou faire des recherches) peut être un bon angle d’approche : les laboratoires membres de l’initiative PREZODE s’intéressent aux zoonoses, et ceux de l’initiative PROMISE s’intéressent à l’antibiorésistance.

Un membre du domaine avec lequel nous avons échangé nous a dit que le domaine contenait deux casquettes : des scientifiques, des spécialistes de la politique, ou les deux. Son conseil pour les scientifiques est de s'intéresser au domaine de la diplomatie, car c'est là que l'essentiel des choses a lieu. Il n’y a pas de voie royale, il faut être assez flexible, curieux, interdisciplinaire.

Travailler dans le secteur de la biotechnologie est également un moyen de se former au domaine et de contribuer à la mise en place de meilleures pratiques de sécurité. La France contient des pionniers du secteur (par exemple DNA Script, Eligo Bioscience, JOGL, Hugging Face).

Du côté de la recherche en France, EffiSciences est une organisation qui promeut la recherche engagée. Il s’agit d’une des seules organisations en France disposant d’un pôle sur les biorisques. Ils ont une liste des projets de recherche à réaliser, et cherchent des profils dans ce domaine. Si ce sujet vous semble important, nous vous conseillons de les contacter - ils pourront vous orienter.

Contribuer par des dons

De nombreuses associations font un travail remarquable sur ces questions. Nous avons réalisé une liste d'organisations à fort impact dans la section dédiée de notre page sur le don efficace, que nous vous encourageons à consulter.

Par ailleurs, nous avons réalisé un travail de recherche visant à identifier des organisations particulièrement prometteuses dans ce domaine en France, à qui il serait possible de donner. Néanmoins, nous n’avons pas réussi à en identifier avec un degré de certitude suffisant pour une recommandation, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, nous avons eu du mal à contacter les experts ayant une bonne vision du domaine - ils sont en effet chargés. Ceux qui ont répondu à nos sollicitations ne voyaient pas d’association sur ce sujet dont ils étaient suffisamment confiants pour une recommandation. Par exemple, aucune organisation française n’était présente à la Convention sur les armes biologiques en 2022 (à part iGEM, dont le siège est à Paris). Il existe des organismes de recherche contre les maladies en France qui font un travail de qualité, comme l’Institut Pasteur, qui dispose d’une Cellule d’Intervention Biologique d’Urgence, mais ils disposent de fonds et sont comparativement peu négligés.

Cette page est en partie une traduction de la page biosécurité du site Giving What We Can (rédigée par Pablo Stafforini), avec des ajouts, modifications, et adaptations au contexte français.

Si ce contenu vous touche, ou vous questionne, n’hésitez pas à en faire parler autour de vous ! Transmettre ces idées et motiver d’autres personnes à réfléchir à ces sujets, et à orienter leurs efforts ou leur temps sur des actions à fort impact est une manière rapide d’avoir vous-même un impact significatif.

Approfondir le sujet

Ressources

En français, nous avons réalisé une traduction de la page de 80 000 Hours, "Comment éviter des pandémies catastrophiques" qui traite notamment des carrières.

Le Forum Altruisme Efficace est un lieu d’échanges et de discussion portant sur ces sujets (en anglais). La section Biosécurité et Pandémies contient des ressources introductives sur le sujet, ainsi qu’une liste des posts considérés comme étant parmi les plus intéressants. Il y a également une section Bioéthique.

Une liste complète de choses à lire sur le sujet se trouve dans A Biosecurity and Biorisk Reading List, qui recense tout un ensemble de ressources, formations, conseils...

Nous recommandons également les ressources suivantes (en anglais):

Communautés sur le sujet

Comme mentionné ci-dessus, EffiSciences dispose d’un pôle biorisques en France, et peut fournir des contacts sur le sujet.

Programmes

Pour les étudiants, des formations existent sur le sujet en France - notamment un Master "Maladies Infectieuses Émergentes" prévu pour 2023 à la Sorbonne. Un séminaire sur le sujet est également mené à l’ENS Ulm.

En ligne, il y a notamment la formation Biosecurity fundamentals de Blue Dot Impact, ou Next Generation Biosecurity.

D’autres programmes internationaux, existent, tels que :

Vous rendre au "jamboree" de la compétition iGEM, à Paris, est également un bon moyen de rencontrer des experts dans le domaine de la biologie synthétique.

Si vous hésitez à approcher ce domaine, cet article résume des projets que l'on peut faire en moins de 2 jours pour explorer à quel point le domaine peut vous convenir.